Depuis les dernières nouvelles il y a de ça un an, la composante de terrain du Projet s’est achevée. Depuis fin 2015, le Karoo Predator Project est au laboratoire à l’Université du Cap pour effectuer des analyses de régimes alimentaires des quatre prédateurs de bétail : le chacal à chabraque, le caracal, le léopard et le babouin chacma et analyser les données des pièges photographiques, questionnaires et colliers GPS récoltées depuis 2013.
S’intéresser au régime alimentaire de ces prédateurs a plusieurs avantages. Cela permet de mieux comprendre leur rôle au sein de l’écosystème, d’étudier leurs interactions à travers le chevauchement de leur niche alimentaire et de quantifier leur impact sur les populations de proies, y compris de bétail. C’est aussi l’occasion de mieux comprendre comment ces espèces coexistent au sein des fermes du Karoo. Tandis que Marion a utilisé des poils de babouins pour comprendre leur régime alimentaire grâce à la méthode des isotopes stables et selon le principe que l’on est ce que l’on mange, j’ai quant à moi récolté plus de 650 crottes de chacal, caracal et léopard dont j’analyse chaque constituants à l’œil nu et à l’aide d’un microscope en ce qui concerne les poils de proies. Chaque poil est en effet typique d’une espèce donnée. Sa microstructure est comme une carte d’identité permettant d’identifier l’espèce à laquelle il appartient. Ainsi, un poil de lièvre est différent de celui d’un koudou et diffère de la microstructure de la laine de mouton, permettant de connaître quel animal a été mangé par le prédateur.
Si chacals et caracals se nourrissent respectivement principalement de fruits et de micromammifères en milieu naturel dans le Karoo, leur comportement alimentaire change en milieu anthropisé où les moutons constituent la source de nourriture la plus abondante toute l’année. Bien que les chacals, caracals et babouins s’attaquent au petit bétail, ils ne le font pas avec la même intensité. Les plus problématiques pour les éleveurs restent les chacals pour lesquels plus de 40% du régime alimentaire est composé de petit bétail, contre 25% pour les caracals. Quant aux babouins, il semblerait que ce ne soit pas la troupe entière qui s’attaque aux moutons, mais uniquement les mâles solitaires et notamment en périodes de sécheresse. Les troupes préfèrent de loin s’alimenter le long des lits de rivières asséchées de baies et de légumineuses qui composent 40% de leur régime alimentaire. Marion continue à analyser ses données pour affiner ses résultats. Les analyses d’excréments de léopards ont quant à elles montrées qu’ils préféraient se nourrir d’antilopes vivant dans les montagnes comme le péléa et l’oréotrague et aucun reste de mouton n’a été retrouvé dans les crottes collectées. Ces découvertes ont été présentées lors de plusieurs conférences nationales où deux premiers prix ont été décernés au Projet, ainsi que dans des magazines d’agriculture locaux et à la télévision française brièvement. Les résultats ont aussi été largement partagés dans le Karoo lors de rencontres au sein de plusieurs villes où les éleveurs pouvaient venir poser des questions aux chercheurs et écouter leurs résultats. Beaucoup reste encore à analyser et les premières publications scientifiques verront le jour cette année.
L’aventure photographique avec nos partenaires Denis Palanque et Nathalie Houdin s’est également conclue très positivement : après avoir vu leurs photographies sélectionnées par des concours internationaux comme le BBC Wildlife Photographer of the Year, le BigPicture Competition et le Sienna International Photography Awards, Nathalie et Denis ont remporté le prix de l’UICN aux Nature Image Awards, ainsi que le deuxième prix dans la catégorie Homme et Nature. Une belle reconnaissance de leur travail et du notre sur le terrain avec les éleveurs.
Les chercheurs du Karoo Predator Project ont également été approchés pour participer à la première évaluation scientifique sur les prédateurs de bétail en Afrique du Sud (http://predsa.nmmu.ac.za/). Avec une vingtaine d’autres experts en la matière, il s’agit de recenser et compiler toutes les connaissances autour des conflits entre éleveurs et mésoprédateurs en Afrique australe. Le document servira de base à tous les gestionnaires et futurs chercheurs s’intéressant à la question, pour ainsi tous ensemble essayer de trouver des solutions qui fonctionnent pour la conservation des espèces mais aussi pour que les éleveurs de moutons puissent vivre décemment de leur travail.
Marine Drouilly